J’ai entendu si souvent quelqu’un me dire qu’il se mettait à son compte pour enfin trouver la liberté d’action qui lui avait toujours manqué en tant que salarié…
…Comme s’il y avait d’un côté l’entreprise qui serait l’équivalent du goulag équipé d’une machine à café, et de l’autre le freelance fier et indépendant, héros postmoderne qui fend de son menton volontaire les nuages de la conjoncture économique.
Il me semble évident que l’autonomie, et, pour être plus exact, l’autonomisation des individus, est un enjeu qui est essentiel quelle que soit la situation de travail.
Et surtout, qui va beaucoup plus loin qu’une idée de préférence personnelle : je crois qu’il s’agit en fait d’un mouvement de fond, qui touche toute la société.
Ce n’est encore qu’un des malentendus qui entourent cette notion, que je vais évoquer ici.
L’idée d’autonomie est notamment dans l’air du temps pour diverses raisons :
- Technologique : les moyens de communication actuels facilitent le travail à distance
- Organisationnelle : le management participatif implique plus de délégation et d’écoute
- Générationnelle : l’autoritarisme, la directivité ne sont plus acceptés
- Fonctionnelle : introduire plus d’autonomie produit un gain d’efficacité mesurable
- Culturelle : la tertiarisation de l’économie aboutit à une économie de la créativité
- Réactionnelle : l’absurdité de la culture du présentéisme produit son antidote
- Systémique : au-delà d’un certain niveau de complexité, l’autonomie locale est nécessaire
J’entends par autonomie plus que sa définition classique, dérivée des racines grecques autos (soi-même) et nomos (règles) : faculté de se gouverner soi-même, en se donnant ses propres règles de conduite, sans être dominé par une autorité extérieure.
DES JOUEURS, PAS DES PIONS
Que signifie «autonomie» pour les salariés, dans le cadre d’une entreprise ?
Une bonne partie de la réponse est donnée de manière très concrète par l’exemple de FAVI, l’entreprise de Jean-François Zobrist, que j’ai évoqué dans un billet de blog précédent.
- Auto-organisation : la manière de procéder est la responsabilité des opérateurs, le dirigeant ne doit pas l’imposer ;
- Auto-direction : reconnaissance des collaborateurs comme individus compétents, pour agir ou pour apprendre, et légitimes dans les décisions qu’ils prennent pour satisfaire les clients ;
- Auto-contrôle : l’autonomie n’est réelle que si la confiance est étendue à la vérification de la qualité.
L’idée est que l’acteur qui n’est pas reconnu se désinvestit, ce qui impacte la qualité de son travail et les résultats de l’entreprise.
À l’inverse, faire confiance aux acteurs et permettre la prise d’initiative améliore l’implication, densifie les liens entre collaborateurs, améliore la communication, l’efficacité, et le bien-être au travail.
SE PRÉOCCUPER DES MOYENS
Je tiens aussi à faire une mise au point sur un quiproquo majeur qui pourrit la perception de l’autonomie : l’autonomie se signifie surtout pas qu’on se fiche des moyens tant que le résultat est au rendez-vous.
Daniel Pink, dans son best-seller sur le management «La vérité sur ce qui nous motive», écrit il y a 10 ans, faisait l’éloge du modèle ROWE (results-only work environement), un style de management uniquement centré sur les résultats.
«Tout ce qu’on leur demande est que le travail soit fait», affirmait apparemment la direction de la grande enseigne américaine BEST BUY. Sauf qu’en réalité… cette société a vite abandonné ce modèle totalement contre-productif.
Ne se focaliser que sur les résultats engendre non-seulement toutes les dérives du court-termisme (c’est-à-dire la pire chose à faire s’il s’agit de pérenniser l’activité d’une entreprise), mais en plus ça revient à se priver de la compréhension de l’activité.
Il me semble qu’il faut à l’inverse s’intéresser de près aux moyens mis en œuvre pour atteindre les résultats : non les dicter, mais les comprendre.
L’inventivité et le pragmatisme qui caractérisent la libre détermination des moyens génèrent à peu près tous les échanges qui font vivre l’entreprise.
…Ce n’est pas en faisant du team-building à VTT lors du séminaire annuel qu’on créera ce type de relations.


DÉCLARATION D’INTERDÉPENDANCE
Gagner en autonomie ne signifie pas faire cavalier seul.
L’autonomie est une interdépendance, non une indépendance.
Je veux là encore dissiper un malentendu :
- l’autonomie n’est pas une donnée («mon employé est-il assez autonome ?»)
mais plutôt
- un terrain d’action pour le manager («comment développer l’autonomie des collaborateurs ?»)
Souhaiter une organisation dans laquelle les acteurs soient plus autonomes implique nécessairement d’être décidé à développer les capacités des collaborateurs, c’est-à-dire de les aider à progresser dans leurs capacités individuelles.
C’est donc une manière d’être en relation :
- échanger sur les moyens,
- faire des points d’étape,
- faire sortir les difficultés en temps utile…
Aider signifie apprendre à l’acteur à faire par lui-même : c’est la logique de responsabilisation qui relève en fait du bon sens universel. L’encyclopédie antique Chinoise, le Guanzi, comprenait déjà ce conseil : «Si vous prévoyez pour dix ans, plantez un arbre ; pour cent ans, éduquez le peuple.»
Aussi, se préoccuper du développement des capacités des collaborateurs est au moins aussi important pour l’entreprise actuelle qu’atteindre des résultats.
L’extension de la responsabilité et des capacités des acteurs entraîne automatiquement la multiplication des relations.
C’est un moyen pour renouveler les liens dans l’entreprise, en quantité et en qualité.
Je dirais en conclusion que la notion d’autonomie est beaucoup plus fructueuse qu’on ne pense souvent.
De plus, elle permet de reconsidérer les questions de responsabilité, d’autorité, de contrôle, de motivation… Elle conduit ainsi à une réflexion sur la maturité, la prise de risque, l’apprentissage…
Et je suis persuadé que les avantages que l’autonomie apporte aux individus s’étendent à l’organisation dont ils font partie.
En toute interdépendance,
Thomas
(qui peut répéter si vous avez mal entendu)
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